Après le très beau Le Monde est à toi, Romain Gavras est de retour avec Athena, film de guerre dans une cité sur le point d'exploser. Sur Netflix.

1917... en 2022

Déjà, avec ses deux premiers longs-métrages, Notre jour viendra et Le Monde est à toi, le réalisateur Romain Gavras avait su démontrer une certaine habilité filmique, à grands coups de cadres parfaitement composés et d'agencements stylisés. Ces envies esthétiques prennent une nouvelle dimension avec Athena, où la caméra du cinéaste n'a jamais été aussi créative et puissante.

Contre-plongées sur des bâtiments qui paraissent démesurément grands, profondeur de champ constamment sculptée par des figurants et/ou des feux d'artifice : la scénographie et la photographie (signée Matias Boucard) d'Athena impressionnent par leur richesse, leur précision et leur ampleur. Un caractère quasi mythologique est donné à ces décors, et tout ceci est complètement assumé à travers une grammaire visuelle guerrière et une bande originale opératique.

 

Photo Sami SlimaneUne technicité hallucinante

 

À cette amplitude du cadre et du son se conjugue un mouvement quasi ininterrompu de la caméra. Pendant plus d'une heure et demie, il y a une suite de vrais-faux plans-séquences plus ou moins longs qui donnent une sensation de temps réel asphyxiante, brillamment augmentée par un environnement sonore agressif et une composition visuelle constamment agitée et chaotique.

Athena n'est pas qu'un exercice de style : c'est une vraie expérience sensorielle et immersive qui fait d'ailleurs appel à d'autres genres. En témoignent des confrontations dignes d'un actionner, emballées dans un décor de film de guerre, avec un champ lexical quasi mythologique, le tout centré sur un drame familial et sociétal.

Romain Gavras joue même avec les codes du film d'horreur, notamment lors d'une séquence d'évasion très tendue. Résultat : Athena est un film particulièrement riche et ambitieux, exécuté avec une technicité résolument spectaculaire.

 

PhotoLa Chair et le sang

 

La Haine (mais pas trop quand même)

Même au bord de l'implosion et en plein chaos, quelques détails de la vie de ce microcosme surgissent à l'écran. Plus qu'une simple démonstration de maestria visuelle, les plans-séquences d'Athena tentent de cartographier de l'intérieur une certaine idée de la cité en banlieue parisienne. Les habitants de ces énormes bâtiments deviennent alors des figures concrètes et palpables, moins sensibles que dans Les Misérables, certes, mais peints avec bien plus de mesure que dans le récent Bac Nord (si quelqu'un osait comparer).

Par ailleurs, ces courses de part et d'autre de ce gigantesque décor empêchent les personnages de réellement se croiser, si ce n'est dans la confrontation et la violence. Chacun avance, seul, suivi à la trace par la caméra de Romain Gavras (et son équipe technique de haut vol), avec l'affect comme seul moteur, rendant ainsi toute communication impossible. Le cinéaste filme avec ingéniosité la tension entre deux mondes déconnectés, qui n'existent l'un pour l'autre que dans la colère et les cris.

 

Athena : photo Sami Slimane"Chacun sa route, chacun son chemin"

 

À l'instar des Misérables (réalisé et co-écrit par Ladj Ly, ici co-scénariste), Athena cherche à multiplier les points de vue afin de ne pas diaboliser la quête de vengeance des habitants de la cité, sans pour autant la glorifier. Mais là où le film de Ladj Ly s'attaquait à un système malade qui poussait ses citoyens à la violence et à la révolution, Athena essaie tellement de ne froisser personne, ni flic ni banlieusard, que sa force évocatrice en devient tiède.

Pire : avec ses cadres composés et sa photographie esthétisée, la mise en scène ultra léchée de Romain Gavras explore presque une forme de beauté et coolitude malsaine de la guerre. En sacrifiant cette part du sujet sur l'autel du grand spectacle, Athena dégage parfois plus de gêne que de sidération, ou d'indignation.

 

Photo Anthony BajonNon, la guerre ce n'est pas joli...

 

Frères ennemis

Romain Gavras et ses coscénaristes Ladj Ly et Elias Belkeddar ont fait le choix de resserrer leur intrigue sur quelques heures seulement, enfermant les acteurs de ce récit dans un lieu unique, capté quasiment en temps réel. Une épure qui renforce l'efficacité de la fiction, mais qui empêche les auteurs du film de construire des personnages solides, même à travers de petits détails révélateurs.

Les protagonistes d'Athena ne sont que sommairement caractérisés par un affect, souvent la colère et/ou la peur, qui étouffe l'implication émotionnelle du spectateur. Le drame de cette famille déchirée par une injustice sociale, véritable cœur émotionnel du film, est mis de côté au profit d'un conflit iconisé à l'écran. Le risque : que plus rien n'existe derrière la mise en scène.

 

Athena : photoJusqu'ici, tout va bien

 

L'écriture d'Athena ne tient alors que sur la confrontation de deux personnages. Cependant, celle-ci est évacuée aux deux tiers du film, débouchant sur une dernière partie plus faible. Une dernière ligne droite stagnante où même la mise en scène opératique de Romain Gavras s'essouffle, à raison d'une emphase trop étirée.

Athena retombe alors comme un soufflé, laissant derrière lui les visages d'une galerie de comédiens plus que convaincants. Saluons ainsi la prestance de Dali Benssalah, la noirceur de Sami Slimane, la folie de Ouassini Embarek et la détresse d'Anthony Bajon, tous impeccables dans le dispositif complexe du plan-séquence.

 

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